Systmes rsonnants, empathie, intersubjectivit
(Ateliers Collge de France Š Ecole Normale Suprieure)
31 Mars et 6 Juin 2005
Descriptif de lÕanimation :
Deux Ateliers dÕune journe chacun les 31 Mars et 6 Juin 2005, de 9h30 19h.
Public : tudiants et chercheurs en sciences cognitives de Paris, en particulier les tudiants du Mastre de sciences cognitives (o enseignent deux des participants ce programme).
Localisation : Ecole Normale Suprieure (1re journe), 29 rue dÕUlm, salle Lapie 1er tage gauche de lÕescalier ; Collge de France, entre Marcelin Berthelot, salle 2 (2me journe).
Participants confrenciers :
Salvatore Aglioti, Ē La Sapienza Č, Rome
Alain Berthoz, Collge de France LPPA
Luciano Fadiga, Ferrare
Shaun Gallagher, University of Central Florida, Orlando
Vittorio Gallese, Parme
Franck Grammont, Aix-en-Provence
Julie Greizes, CNRS LPPA
Grard Jorland, EHESS
Pierre Livet, Aix-en-Provence
Jean-Luc Petit, Strasbourg II & LPPA
Jean-Michel Roy, ENS Lyon
Giacomo Rizzolatti, Parme
Organisateur :
Jean-Luc Petit
Universit Marc Bloch Š Strasbourg II
& LPPA Š Collge de France
adr. pers. 42, rue de Svres
92100 Boulogne-Billancourt
tl. 01 46 05 08 90
e-mail jean-luc.petit@college-de-france.fr
Argumentaire :
Des expressions comme Ē cognition sociale Č ou Ē neuroscience sociale Č sont depuis quelque temps la mode dans le langage des sciences cognitives en dpit du fait que leur emploi demeure problmatique tant quÕil reposera comme cÕest semble-t-il le cas sur la seule base des enregistrements cellulaires ou de lÕimagerie crbrale et sans quÕon dispose encore dÕune doctrine cohrente sur les articulations entre la physiologie des aires motrices et la psychologie de lÕaction, dÕun ct, la sociologie de lÕaction de lÕautre. En fait, tout nÕest pas clair en ce qui concerne la signification de la dcouverte dans le cerveau de ces multiples Ē systmes rsonnants Č quÕactivent aussi bien lÕexcution dÕactions propres que lÕobservation attentive des actions dÕautrui dans lÕidentification perceptive, lÕimitation, lÕapprentissage ou la contagion motionnelle. Des systmes dont le fonctionnement sÕinsre dans les grandes boucles sensori-motrices grce auxquelles lÕorganisme se tient inform des changements de lÕenvironnement physique ou social, les anticipe quand ils sont rcurrents et y adapte continuellement son comportement. Plusieurs bauches dÕinterprtation sont bien sr dj en comptition, mais sans quÕon discerne encore assez clairement le systme sous lÕbauche ni les compatibilits et incompatibilits entre les diffrents modles explicatifs concurrents.
Ainsi, tantt les chercheurs
se montrent sensibles au caractre direct du couplage entre action trangre
observe et action propre correspondante et ils sont enclins penser que ces
systmes rsonnants pourraient constituer des rpertoires communs, inns ou
acquis, dÕactions non marques quant leur appartenance lÕego ou autrui,
actions dont les programmes moteurs doivent tre pralablement fixs en mmoire
pour permettre lÕlaboration rflexive dÕun plan de conduite individuelle et
lÕexpression langagire de cette rflexion dans la dlibration. Tantt, plus
impressionns sans doute par la dimension imitative de ces rsonances de
systme systme, ils sont sduits par une thorie mentaliste de lÕexplication
du comportement tranger sur la base de la simulation interne des effets
observs de ce comportement. Nous attribuons, croient-ils, des tats mentaux au
corps physique quÕest en premire approximation autrui dans la mesure o nous
rveillons en nous-mmes des tats mentaux que nous avons eus auparavant quand
nous avons fait les mmes gestes ou adopt les mmes postures que cet autre
corps manifeste actuellement. Une doctrine qui a lÕinconvnient dÕintercaler
arbitrairement entre le comportement tranger observ et le comportement propre
la mdiation dÕun processus infrentiel analogique cens recruter dans la
mmoire de lÕobservateur les programmes moteurs similaires ceux des
mouvements observs.
Cette tension (pour ne pas dire contradiction) des modles explicatifs sous-jacents ne semble cependant pas avoir t aperue, ou pas considre rdhibitoire par les chercheurs. Entre couplage direct et simulation comme infrence analogique leurs interprtations des phnomnes de rsonance crbrale paraissent indcises. Et lorsquÕils se dterminent assumer la fois ces deux conceptions malgr leur diffrence, ils risquent le paradoxe.
NÕest pas tranger cette situation lÕhritage de la tradition empiriste et intellectualiste par lÕpistmologie des sciences cognitives qui demeure tributaire de cette tradition pour sa thorie de lÕesprit. Mais comment peut-on maintenir aujourdÕhui le primat de la sensation par rapport lÕaction, de la priphrie par rapport au centre, de la reprsentation et du calcul par rapport lÕaffect, du signal, quantum lmentaire dÕinformation, par rapport aux totalits signifiantes ? SÕil est des stimuli non lmentaires, donc peu assimilables lÕlmentarisme analytique, lÕaction dÕautrui avec son orientation intentionnelle en est un bon exemple. Or, les preuves sÕaccumulent du fait que, concurremment avec le traitement hirarchique des signaux rtiniens lmentaires par les voies visuelles, de tels stimuli complexes influencent lÕactivit des aires frontales prmotrices et motrices. Des aires motrices qui ont, par consquent, dans la saisie de la signification intentionnelle des actions une fonction cognitive irrductible au simple contrle moteur. Est dÕautre part tabli le fait que ces aires motrices modulent, voire induisent en permanence par les dplacements de lÕattention quÕelles contrlent lÕactivit de toutes les aires sensorielles, sans exception. LÕactivit des aires sensorielles primaires, entres supposes de lÕinformation externe de lÕorganisme. Mais galement lÕactivit des aires somato-sensorielles, territoires de ces reprsentations cartographiques somatotopiques du corps anatomique quÕon avait dÕabord cru fixes chez lÕadulte mais quÕon a dcouvert dÕune plasticit fonctionnelle module par lÕusage des membres durant toute la vie.
Cependant, lÕaffirmation dÕune nouvelle conception de lÕautonomie fonctionnelle de lÕorganisme par rapport la structure physique, la sienne ou celle de lÕobjet externe, bute malgr tout sur lÕobstacle dÕun prjug physicaliste et priphraliste qui voudrait limiter cet organisme lÕlaboration et la transformation de reprsentations dÕune ralit prconstitue ces reprsentations et indpendante dÕelles.
LÕintroduction de stimuli complexes, lÕextension corrlative des champs rcepteurs cellulaires et la dynamisation corrlative des cartes reprsentatives crbrales, le renversement de la hirarchie sensori-motrice ouvrant la possibilit dÕune rtroaction du signal moteur sur les aires sensorielles, lÕanticipation sur modle interne des effets prvisibles de lÕaction sur les capteurs sensoriels, tous ces changements conceptuels tendent nanmoins surmonter cet obstacle. Par exemple, la prcdence de lÕacte autonome par rapport ses consquences sensorielles dans la simulation interne de lÕaction nÕclaire pas seulement notre exprience phnomnologique de la conception libre de lÕintention dans la gense de lÕaction propre. Elle claire aussi lÕnigme de la saisie intuitive de lÕintention dans lÕobservation des actions dÕautrui. Parce quÕil devient inutile de postuler une infrence analogique spciale attribuant une intention lÕaction trangre sÕil nÕest pas vrai que cette action se prsenterait dÕabord comme simple mouvement physique ou simple image rtinienne quÕaucune reprsentation de but nÕaccompagnerait. De sorte que ces oppositions traditionnelles : moteur Š sensoriel, haut Š bas, externe Š interne, moi Š autrui se rvlent si entrelaces quÕelles ne seront pas surmontes une par une et sans quÕon touche au paradigme gnral dont elles procdent.
Elargir Ē lÕexprience Č lÕempathie, Ē la pense Č lÕintersubjectivit : cette rvolution accomplie au dbut du sicle dernier en phnomnologie nÕa pas concern des sciences cognitives trop dpendantes de Locke et de Descartes pour tirer parti des intuitions de Lipps, Dilthey, Scheler et Husserl. En compensation, leur leon a gard toute sa fracheur et sa fcondit : LÕexprience dÕautrui nÕest pas le rsultat final dÕun long processus de sensation Š reprsentation Š jugement, comme lÕavait soutenu la psychologie empiriste ou no-kantienne et comme certains persistent le croire en psychologie cognitive. Elle est au contraire une authentique source de connaissance par lÕagir, un vcu dÕacte de Ē se projeter sur, sÕinstaller dans, sjourner auprs Č. La description de ce vcu se dploie essentiellement sur trois plans : au plan de lÕexprience intime quÕun agent a de son corps propre quÕil investit de ses forces et sÕapproprie dans la mesure o il en use sa guise dans lÕaction ; au plan de lÕexprience externe dÕun monde dÕobjets dÕintrt pour un sujet qui projette sur ces objets ses propres forces et ses propre valeurs vitales ; au plan de la perception dÕautrui en tant que celui Ē la place de qui Č on peut toujours se mettre (dans certaines limites dÕhorizon de comprhension). Revisitant ces analyses, le chercheur en sciences cognitives ralisera mieux lÕinadquation de toutes ses reprsentations unilatrales de la boucle perception Š action, qui ignorent quÕen tant que base dÕobjectivation, dÕidentit personnelle et dÕinteraction avec autrui celle-ci fonctionne aussi et plus fondamentalement dans le sens action Š perception.